7 Octobre 2013
Introduction au Blog : Le chrétien peut il rester étranger aux aspects collectifs de la vie sociale dans laquelle il se trouve ?
Un des sujets proposés au baccalauréat de philosophie, en juin 2013, nous introduit directement dans la préoccupation centrale de la plupart d’entre ceux qui ont créé ce blog : « Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique ? ».
Pour un Chrétien, cette question peut être formulée : « Pouvons-nous vouloir vivre l’esprit de l’Évangile, pouvons-nous vouloir vivre l’esprit du Christianisme sans nous intéresser à la politique, c’est-à-dire, sans nous intéresser à l’organisation et à la vie de la société où nous vivons ? ».
En effet, déjà, en 1963, un des plus grands Papes du catholicisme, Jean XXIII, avait attiré l’attention des Chrétiens dans la fameuse encyclique Mater et Magistra, en rappelant de la façon la plus ferme, que la Doctrine sociale de l’Église était partie intégrante de la doctrine chrétienne.
Le premier objectif de ce blog est de montrer que le Christianisme existe, qu’il peut être vécu, qu’il a un rôle à jouer dans la société actuelle et à venir. Il a pour but de faire connaître le message du Dieu, Jésus Christ, et de développer les discussions autour de lui.
Ce blog se voudra donc enraciné dans la tradition chrétienne catholique, à partir des témoignages de tous ceux d’abord, qui ont eu la chance de connaître Jésus, de ceux qui veulent imiter sa vie, à partir du récit des Apôtres et du contenu des Évangiles, en particulier à partir des « Béatitudes », à partir de l’élaboration de la première pensée du Christianisme, c’est-à-dire celle qui est apparue dans les travaux et résultats des premiers conciles (Conciles de Jérusalem en 50, de Nicée en 325, de Constantinople en 381, et de Chalcédoine en 451), à partir aussi de la longue période de réflexion et d’élaboration des Pères de l’Église, période couronnée par la théologie de saint Thomas d’Aquin au XIIIème siècle et enfin, à partir des enseignements plus récents de ce qui a été appelé la Doctrine sociale de l’Église. Cette doctrine sociale de l’Église catholique a été plus particulièrement illustrée par quelques lettres encycliques phares qui ont marqué la fin du XIXème et le XXème siècle (Rerum Novarum, Quadrasesimo Anno, Mater et Magistra, Centesimus Annus, Pacem in Terris, Laborem Exercens, etc).
L’importance, en volume et en valeur de cette Doctrine Sociale de l’Église nous montre à quel point, l’Église ne pouvait plus se taire sur l’organisation de cette vie terrestre sur le plan social et individuel. Faire connaître cette doctrine, en voir les implications, sera donc aussi, au cœur des préoccupations de ce blog. Il veut manifester la volonté de faire apparaître à quel point les liens sont étroits entre l’ensemble du monde dans lequel nous sommes obligés de vivre et le monde dont nous rêvons et auquel nous aspirons. Nombreux, en effet, ont été, ceux qui ont cru que, pour que ce monde soit plus chrétien, il fallait que le message de Jésus lui soit plus « adapté ». Pourtant, au siècle dernier, le Cardinal Daniélou avait déjà répondu : « Ce n’est pas au Christianisme, ce n’est pas à l’Église de s’adapter au monde, c’est au monde de s’adapter au Christianisme, au message de Jésus ». Ce sera aussi, notre ligne de pensée.
Répondons maintenant aux deux questions posées plus haut :
Non, il ne nous est pas possible de vouloir agir moralement, dans le monde où nous vivons, sans que nous ne nous intéressions à la politique. Non, un Chrétien, ne peut pas prétendre pouvoir vivre l’esprit de l’Évangile, l’esprit du Christianisme, sans s’intéresser à la politique, sans s’intéresser à l’organisation et à la vie de la société où il vit.
Quotidiennement, nos attitudes, nos comportements, nos actions et nos démarches dépendent de l’acceptation ou du refus de certains critères. Actuellement, il est évident que les critères dominants sont des critères d’ordre économique. Il y a en effet, peu d’actes quotidiens d’un Chrétien qui n’entraine des conséquences sociales et politiques et réciproquement, il y a peu de réalité sociale collective qui n’interpelle un Chrétien dans sa volonté d’être cohérent. Autrement dit, à l’heure actuelle, dans le cadre du productivisme libre échangiste et mondialisateur, vouloir être chrétien suppose d’accepter un combat et une résistance permanente. La réponse est déjà donnée. Au nom de quel message, au nom de quelles valeurs, le Chrétien doit-il se battre ? Jésus a déjà répondu : « On ne peut avoir deux maîtres, Dieu et l’Argent. »
C’est ce que nous devons rappeler rapidement, car ce blog essaiera d’éviter les conflits idéologiques inutiles et secondaires et tentera de se contenter des enseignements traditionnels.
Les points essentiels du Christianisme partent d’abord de l’histoire de la vie de Jésus-Christ et de son Église, l’Église catholique. Ces points essentiels sont d’ailleurs devenus en même temps, des repères symboliques : ce sont les fêtes de Noël et de Pâques. Ces fêtes suggèrent que la beauté et la grandeur de l’Église ne sont pas issues de la recherche de la puissance et de la gloire, mais, de la reconnaissance de la valeur de la faiblesse, de l’humilité de tout homme et en particulier, de ce Dieu qui a voulu être homme comme nous. Ces idées sont illustrées par le fait que la première des grandes fêtes du Christianisme est la fête de Noël, la fête de la naissance d’un enfant dans une étable ,et que la seconde fête est celle de la mort, de la crucifixion de ce même individu, comme celle d’un esclave condamné.
Ainsi, ces débuts du Christianisme ont-ils été marqués par ce que les contemporains ont pu considérer comme des scandales, des aspects du Christianisme qui renversaient les systèmes de valeurs habituels des religions et des pensées existantes.
Le premier de ces « scandales » concerne l’image qui était donnée de Dieu. Ce Dieu qui était appelé jadis « Dieu tout puissant, Dieu de gloire », nait pauvre dans une crèche et meurt comme un esclave, méprisé. C’est un renversement de l’image donnée et glorifiée jusqu’alors .
Le second « scandale », et pas des moindres, sera issu des premiers grands conciles, ou plutôt de conflits entre la pensée de ces conciles, et la pensée « religieuse » traditionnelle. En affirmant que Jésus était en même temps, Dieu et homme, ces Conciles affirmaient que la Matière avait la même valeur que l’Esprit, que Dieu Jésus était tout autant Matière qu’Esprit et que l’on ne pouvait voir dans cette Matière, la source de ce que les religions traditionnelles, antérieures et postérieures, appellent le «mal ».
Cette révélation des conciles sur l’égalité entre la Matière et l’Esprit signifiait en même temps, autre chose pour la vie quotidienne des Chrétiens ; la question fondamentale qui se pose est : « Comment puis-je me rapprocher de Dieu ? Comment puis-je progresser, comment puis-je m’améliorer ? ».
Jusqu’alors et dans la plupart des pensées étrangères au Christianisme, ce besoin de se rapprocher de Dieu, ce besoin de s’améliorer, de s’élever, exigeait d’abord une « purification », entendue la plupart du temps, comme un détachement de la Matière, le détachement de ce qui était considéré par elles, comme la source de ce qu’elles désignaient comme le Mal.
À l’opposé, cette « élévation », dans la conception chrétienne, ne passait plus par ce détachement de la Matière mais, par l’imitation de la vie et du comportement de Jésus ; elle devait passer plutôt par la primauté donnée quotidiennement aux sentiments d’amour sur tous les autres critères d’action, c’est à dire devait tout simplement passer, par l’importance de l’amour dans la vie, et par le développement de tout ce qui en est proche : la gentillesse, la tendresse, l’affection, le dévouement, la capacité d’écoute et de compréhension. Mais, il faut le souligner, cette volonté de donner la primauté aux sentiments d’amour, peut prendre, entre autres, comme forme, l’envie d’améliorer et d’embellir la Matière et donc le monde environnant. Le Christianisme propose ainsi aux chrétiens de s’améliorer pour améliorer le monde qui les entoure, et réciproquement, d’essayer d’améliorer le monde qui les entoure pour que chacun puisse s’améliorer, puisse mieux s’accomplir et se donner une joie.
C’est ainsi, peut-être, ce respect pour la Matière qui a été à l’origine de la force du Christianisme, car il donnait à chaque Chrétien le sentiment qu’il avait , dès ici bas, une raison de vivre, et une place unique et forte dans la Création. Comment ? En transformant la Matière, en l’embellissant c’est-à-dire, en créant une nouvelle forme de matière, le Chrétien participe à la Création divine. Car la Création ne peut être réduite à la création de la quantité de matière nécessaire au monde mais, de plus, elle est aussi la création des diverses « formes » qui lui donnent un sens. La création artistique qui fait transformer la matière par des hommes, dans la mesure où elle espère favoriser un progrès vers le Beau, est une forme de participation à la Création.
Le résultat de cette réhabilitation de la Matière fut l’extraordinaire développement de ce qui était dirigé vers la plus grande beauté A M D G (Ad Majorem Dei Gloriam) c’est à dire, vers la construction d’églises, de cathédrales, la création de monastères, vers le chant grégorien ….Voila donc l’idée, l’image que les plus connus des chrétiens se faisaient de Dieu.
Et, en sens inverse, quel était l’homme dont Dieu rêvait ?
L’homme espéré par Dieu devait donc être comme Jésus, un individu, unique, libre et aimant. Libre et aimant, en même temps, c’est la condition « tragique » de l’homme. Dostoïevski, dans sa parabole du « Grand Inquisiteur » avait bien eu raison de suggérer que Dieu, en attendant un homme capable d’assumer cette double volonté, espérait de l’homme quelque chose de peut-être trop difficile : car cette double volonté espérée par Dieu n’est peut-être, que la suite logique de l’espoir de voir les hommes imiter Jésus-Christ.
Il est facile, en effet, de constater que ces deux qualités que Dieu attend de l’homme, être en même temps, libre d’une part, et, d’autre part, désireux d’aimer et d’être aimé, sont souvent conflictuelles. Pourtant c’est bien Jésus, c’est Dieu, qui espère qu’en voulant l’imiter, l’homme veut être à la fois, les deux, libre et désireux d’aimer et d’être aimé. C’est pourtant là, le problème : être libre, c’est en même temps, être libre de ne pas aimer. Et désireux d’aimer, mais d’aimer quoi ? d’aimer qui ?
D’aimer les autres, d’aimer la nature, d’aimer ce qui est beau.
Cette acceptation difficile de la condition « tragique » de l’homme c’est à dire, des conflits entre les valeurs permanentes et universelles, vaudra toujours mieux que l’acceptation de la position « dramatique », absurde et dangereuse, selon laquelle, un conflit ne peut être qu’un conflit entre le bien, et, ce que facilement on appelle le mal et que l’on croit devoir éradiquer. Cela signifie que, pour les « dramatiques, la moitié de la réalité devra être éradiquée. Ce fut la doctrine nazie et stalinienne qui ne furent pourtant que la suite logique de la pensée « économiste », utilitariste, et « instrumentale ». N’a de valeur que ce qui est utile.
Être chrétien, c’est donc le refus de cette conception dramatique par laquelle des hommes pourraient être considérés comme partie du Mal et devraient donc être exterminés. C’est donc l’affirmation, à l’inverse de la conception « dramatique », qu’un conflit peut très bien, être un conflit entre deux valeurs et ne pas aboutir à une solution tranchée, c’est-à-dire ne pas connaître de « dénouement ». Ainsi, toute la littérature d’inspiration chrétienne est-elle pleine d’exemples et de héros « tragiques ».
L’esprit « dramatique » est une tentation forte et permanente, car c’est celle d’une pensée et d’une action « facile » intellectuellement et pratiquement.
Mais ce n’est d’ailleurs pas, la seule attitude facile et dangereuse qui puisse tenter un Chrétien. Dans le même esprit manichéen, basé sur la volonté de supprimer un prétendu domaine du Mal, l’autre tentation est de porter des jugements définitifs sur les hommes ; des jugements qui supposent que chacun d’entre nous aurait une nature, une essence définitivement fixée ; c’est une conception « essentialiste ». Par exemple, il n’est pas rare de trouver des appréciations scolaires portant un jugement définitif de la sorte : « élève nul en mathématique », au lieu de suggérer que l’élève « obtient momentanément de mauvais résultats en mathématique ». La logique de cette attitude est de trouver tout à fait normal qu’un pays adopte la peine capitale.
À l’opposé, le fond de la pensée de l’Église catholique a toujours été « existentialiste », c’est-à-dire a toujours été basée sur la conviction que tous les individus restent, à tout instant, libres de changer radicalement de système de valeur et de comportements.
Enfin, la tentation la plus forte, parce qu’elle provient de tous les économismes actuels, parce qu’elle est inhérente aux productivismes dominants contemporains, est la tentation de ce que l’on a pu appeler le «regard instrumental ». C’est la tentation de regarder dans les choses et les êtres du monde uniquement ce en quoi, ces êtres ou ces choses peuvent être l’instrument d’un objectif, ce en quoi ils peuvent servir. Ce « regard instrumental » qui, à la limite, aboutit à pouvoir considérer n’importe quel individu humain comme un simple instrument, est devenu le « regard » le plus accepté, le plus « normal », dans notre monde contemporain. Cela signifie qu’un des facteurs centraux des pires régimes totalitaires n’a pas disparu. Il est tout autour de nous, il lui manque l’occasion, l’étincelle pour se mettre en oeuvre.
À l’opposé, dans le Christianisme, tout individu est absolument unique. Le regard instrumental lui, est antichrétien ; le regard chrétien lui, cherche en chaque être, en chaque chose, en chaque personne, ce que cet être, cette chose ou cette personne a d’unique, d’incomparable.
Après l’affirmation des premiers conciles (Jésus, à la fois, homme et Dieu), un autre aspect du message de Jésus, a été formulé, peu à peu, après une longue réflexion philosophique et théologique menée par saint Thomas d’Aquin et tous ceux qui l’ont précédé sur cette voie. Cette pensée est résumée dans le concept de « Dualisme réaliste »
Peut être, faut il en rappeler l’histoire ?
Pendant des siècles, à la question a été : « Quelle est la réalité suprême ? Celle où se situent la valeur et l’existence de chaque réalité universelle ? ».
À cette question, en correspondaient d’autres : « Est-ce l’idée ? Est-ce la matière ? Quel est le concept qui permet de comprendre et d’expliquer ce que nous voyons ? ».
Les penseurs s’étaient d’abord divisés en deux camps ,apparemment et approximativement opposés, mais qui, selon la pensée thomiste, étaient tous les deux des « monismes ».
D’un côté, les penseurs proches de Platon, considéraient que la réalité ultime, ayant le maximum de valeur, était l’Idée, l’Esprit, c’était le monisme de l’Esprit ; et cela était associé avec l’idée qu’il existait d’autres « universaux » : pour eux, la Permanence et l’Universel. À l’opposé, existaient les penseurs qui considéraient comme Héraclite, que la réalité suprême était le Changement, la Matière et le Particulier. C’étaient les « monistes » de la Matière, du Changement et du Particulier.
À la suite du grand philosophe Aristote, 1600 ans plus tard, Saint Thomas a refusé ces explications « monistes » : pour lui, la réalité et les valeurs étaient toujours doubles. C’est pour cela que l’on parla de « dualisme ». Il y avait en même temps, la Matière, et, l’Esprit, le Changement ,et, la Permanence, l’Universel, et, le Particulier. Comme cette conception se proposait de décrire la réalité environnante, elle s’est appelée « réalisme ». Ce fut le « dualisme réaliste ». Telle fut la base de la philosophie et de la théologie thomiste catholique.
Il faut quand même noter que cette façon thomiste de penser n’est pas sans influence sur la réalité du monde. Par exemple, quand les Chrétiens sont cohérents, ils s’aperçoivent que la double existence et la double valeur du Particulier et de l’Universel, impliquent qu’ils puissent être en même temps, adeptes des autonomies régionales (régionalistes) et des autonomies nationales (souverainistes).
Le message de Jésus ne change pas, il s’enrichit. Depuis plus d’un siècle, il s’est enrichi de La Doctrine sociale de l’Église Catholique ; en effet, plus les siècles passaient, plus changeaient les réalités et les questions auxquelles devait répondre l’Église catholique. Des questions nouvelles sont nées de l’évolution des sociétés industrialisée, en France, en Europe et ailleurs.
Chez nous, pendant un siècle environ, la plus grande question qui semblait diviser les citoyens, était le clivage entre les partisans de la Monarchie et les partisans de la République. Ce clivage pouvait apparaître comme la clé explicative des situations individuelles : au départ, les partisans de la Monarchie étaient supposés être les partisans de l’«ordre existant » et les Républicains, les partisans du changement. En même temps, cette période vit s’ouvrir un temps de conflits, parfois violents entre les partisans de la Révolution et ceux de l’Église catholique. Celle-ci s’opposait à ce que les révolutionnaires veuillent encadrer le clergé pour l’enrégimenter (Constitution Civile du Clergé de 1791).
Mais, avec l’abolition des corporations (loi Le Chapelier, votée par la Constituante en 1791), les gens du peuple avaient appris qu’essayer de se défendre collectivement contre ces bourgeois déguisés en révolutionnaires, était dangereux. En effet, à cette loi Le Chapelier, la Constituante avait ajouté la loi Allarde qui interdisait aux ouvriers de se regrouper en syndicats pour défendre leurs droits. C’était une régression par rapport à la situation antérieure où les corporations de l’ancien régime limitaient dans une certaine mesure, les droits de ceux qui détenaient le pouvoir économique.
Le conflit principal changeait, cela devenait un conflit social, c’est-à-dire un conflit entre les travailleurs et les possédants. Plus tard, Marx et d’autres arrivèrent pour expliquer et théoriser ce phénomène autour de la notion de « lutte des classes ».
La question sociale et sa « nouveauté » en 1891
L’Église catholique, elle, mit un certain temps avant d’analyser la nouveauté radicale de la situation. L’ancien clivage politique qui opposait les républicains à l’Église restait très présent dans les têtes. Et quand elle s’aperçut que ce nouveau clivage entre les riches et les pauvres devenait prépondérant, l’Église comprit que pour montrer qu’elle l’avait intégré, il lui était nécessaire de s’inscrire dans ce nouveau clivage et d’abandonner l’ancien. Ainsi, l’encyclique du Pape Léon XIII, Rerum Novarum de 1871, fut-elle analysée par certains comme une ralliement de l’Église à la République, alors qu’elle était uniquement l’expression de la nécessité pour l’Église de répondre à la « question sociale ». Cette question sociale, telle qu’elle était posée était : « L’existence de la propriété privée des moyens de production entraîne-t-elle mécaniquement, une lutte de classe entre propriétaires et non propriétaires de ces moyens de production ? Entraine-t-elle nécessairement, des inégalités et des injustices ? Ces inégalités et ces injustices n’ont-elles pas d’autres origines que l’existence de la propriété privée des moyens de production ? ».
Car, autant l’Église catholique refuse de considérer que la propriété privée doive devenir automatiquement source d’une lutte de classe, autant, elle est préoccupée par les inégalités et les injustices qui peuvent découler de l’existence de la propriété privée des moyens de production.
Ainsi, la première réponse de l’Église catholique à cette question « sociale », a été double :
• En premier lieu, l’Église rappelle en même temps, solennellement, que la valeur de la « propriété privée » (même des moyens de production) doit être réaffirmée ; car, pour cette doctrine, le droit de propriété privée est le moyen par excellence de l’indépendance et de la liberté de chaque personne et de sa famille vis à vis de la société, et il exprime « la priorité ontologique et téléologique de l’individu sur la société » (Quadagesimo Anno, Pie XI).
• En second lieu, l’Église catholique ne peut accepter que l’existence de la propriété privée débouche sur des inégalités trop fortes et donc, sur des injustices et pour cela, elle proclame un autre principe qui, en cas de conflit doit l’emporter, celui de la « destination universelle de tous les biens ». C’est un principe éthique et social de l’Église qui affirme que les besoins de l’humanité dans leur ensemble sont supérieurs aux droits de la propriété privée individuelle. Chaque homme a donc le droit d’avoir accès aux biens nécessaires pour se nourrir, vivre et assurer son plein développement. C’est un principe peu connu qui peut être résumé en une phrase : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les homme, de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (Gaudium et Spes). Ce principe est un application directe du principe du « bien commun », il interroge vigoureusement celui de la propriété privée : entre « Tout est à tout le monde ! » et, « Ce que j’ai ne regarde que moi ! », il y a de la place pour un questionnement. Ce principe ne remet pas en cause la légitimité de ce droit de propriété car, pour l’Église, ce droit de propriété est irremplaçable pour garantir la liberté, l’autonomie de la personne et de sa famille ainsi que la stabilité des liens affectifs de ce qui est possédé avec celui qui possède. Mais l’Église lui a donné des limites, celles de la trop grande concentration des biens dans les mains d’un e seule personne. les réponses à la question du Pape Léon XIII ont été confirmées et amplifiées, à plusieurs reprises, par ses successeurs (à travers Quadragesimo Anno, Mater et Magistra, Centesimus Annus, Laborem Exercens, etc ).
Après l’encyclique Rerum Novarum, les papes qui se succédèrent, s’aperçurent vite qu’ils avaient en quelque sorte, ouvert « la boite de Pandore » : les questions de société s’enchainèrent vite les unes aux autres. À ce point de départ (où le système capitaliste était très fort), les injustices et les inégalités frappaient la classe ouvrière, la question « sociale » avait d’abord entrainé une contestation de la « propriété privée des moyens de production », de la « propriété privée ». Et le thème crucial devint : « La liberté individuelle et le rôle de l’État » ; et la question devient : « Dans quelle mesure, l’État est-il nécessaire pour empêcher les inégalités ? » associé à cette autre question qui est fondamentale : « Dans quelle mesure aussi l’est-il pour protéger les individus contre les forces économiques dominantes ? ».
Dans les deux cas, c’est la liberté de la personne qui est en jeu, la liberté des personnes contre des forces économiques. Et, c’est pour cela aussi, que ces questions étaient, en même temps, celles qui étaient posées par la Doctrine sociale de l’Église catholique (et auxquelles elle se devait de répondre). L’Église n’avait-elle pas mis au centre de sa doctrine, la volonté de défendre la liberté des personnes !
Et, les réponses de cette doctrine sociale de l’Église ont été : « Oui, l’État peut être nécessaire pour réduire les inégalités », « Oui, l’État peut aussi être nécessaire pour protéger les personnes contre les forces économiques dominantes, c’est-à-dire, pour maintenir les libertés des personnes ».
Mais, pour cela, les forces économiques des marchés inégalitaires actuels, ne peuvent absolument pas suffire pour protéger les individus.Pour un chrétien, il faut donc à la fois, un marché et un État pour que ce marché ne devienne pas inégalitaire.
Au contraire, laisser jouer sans contrôle, ces forces économiques dominantes aboutit à renforcer les inégalités et les injustices. C’est ce qui se passe à l’heure actuelle : bien souvent, en effet, elles arrivent non seulement à dominer les autres entreprises, mais aussi à dominer l’ensemble de l’économie, et même, à dominer la société dans son ensemble. On en voit le résultat dans de nombreux pays européens comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, où les jeunes sont chômeurs à plus de 55%.
Or, à plusieurs reprises, l’Église a manifesté son refus de voir la société dominée par l’Economie. Cela signifie que, pour nous et pour l’Église, l’État devrait faire en sorte que rien, qu’aucune force économique ou autre, ne puisse dominer cette société.
C’est pour cela qu’il faut rechercher d’abord, en partie, les formes d’économie qui seraient les moins pesantes sur la société tout en gardant un minimum d’efficacité. Bizarrement, il n’y a pas eu beaucoup de recherches en ce sens. De plus, c’est un domaine de discussion où intellectuellement, la confusion règne plutôt et où restent accrochées les réminiscences d’habitudes intellectuelles des siècles précédents : il n’existe en fait, de nouveau, qu’un seul vrai débat, c’est celui qui existait à l’époque entre partisans et adversaire de la propriété privée des moyens de production. Car, un enjeu n’est pas toujours abordé de face, par la Doctrine sociale de l’Église.
Cet enjeu, c’est la place souhaitée de l’économie dans la société. Manifestement, l’Église souhaite que la place de l’économie soit subordonnée aux autres objectifs de cette société ; c’est-à-dire qu’en fait, cette économie soit maîtrisable et régulable, c’est-à-dire, à l’opposé de ce qui se passe actuellement où l’économie tend à dominer tous les autres aspects de la société.
C'est pour cela aussi que, depuis Rerum Novarum (1891) en passant par Quadragesimo Anno (1931) et Mater et magistra (1961), l’Église catholique a dénoncé, du même mouvement, à la fois le socialisme étatique autoritaire et les types actuels d’économie, foncièrement inégalitaires et prétendument de marché, dont le caractère libre-échangiste et mondialisé, aboutit, en permettant aux plus grands d’écraser et de dominer les plus petits, à ce que l’économie domine l’ensemble de la société.
Et, en 1981, par son encyclique Laborem Exercens, Jean-Paul II, apportait la pierre angulaire à cet édifice doctrinal, en précisant que, derrière le capitalisme et le socialisme, il y avait l’économisme. « Il y avait l’erreur fondamentale que l’on peut appeler l’erreur de l’économisme et qui consiste, en l’occurrence, à considérer le travail humain exclusivement sous le rapport de la finalité économique ».
Or pour que la liberté des individus, la liberté des agents économiques et leur dignité puissent rester intactes, il faut qu’elles soient protégées par un cadre adéquat, et il faut que l’État protège ce cadre.
Il est donc nécessaire que l’État participe sur le plan de l’élaboration législative à la mise en place de ce cadre qui doit organiser la liberté des personnes et des agents économiques, qui doit empêcher la constitution de ces grosses concentrations qui écrasent les petits et menace ou détruit le plein emploi.
Un problème supplémentaire apparaît avec la nécessité d’approfondir certaines questions sur le plan économique : on peut dire que la doctrine chrétienne est approximativement accessible à presque tout le monde; cependant, certains chrétiens peuvent se montrer réticents vis à vis de l’économie, devant la formulation souvent trop spécialisée des connaissances économiques actuelles. Mais, ce n’est pas pour autant l’expression d’une réticence vis à vis de l’enseignement de l’Église catholique.
Pour le moment, il est nécessaire de donner un aperçu de ce qui pourrait être une vision chrétienne des théories économiques. C’est ce que nous présentons maintenant avec les théories néoclassiques walrasiennes et les théories keynésiennes compatibles avec les enseignements du Christianisme. Ceci dit, il ne faut pas se faire d’illusion : aucune théorie économique, n’est capable par elle même de créer une société chrétienne. Les théories économiques, peuvent ou non, rendre simplement possibles des comportements chrétiens.
Mais, si on préfère , avoir une vision panoramique et simplifiée, si on veut avoir une idée des liens entre les théories économiques d’une part, et les positions chrétiennes d’autre part, on peut dire, pour résumer qu’il existe quatre positions, opposées deux à deux : d’une part, les positions économiques compatibles avec les conceptions chrétiennes, par exemple, les théories néoclassiques et les théories de J. M. Keynes, et, d’autre part, les théories incompatibles avec les conceptions chrétiennes, c’est à dire ,par exemple, les théories marxistes d’une part et , celles qui défendent les types d’économie, prônées par F. von Hayek, types inégalitaires, basées sur un pseudomarché, mettant en compétition des entreprises de grandes dimensions.
Parmi les conceptions incompatibles, il existe donc :
• d’un côté, des conceptions, appelées abusivement « libérales », parce qu’en fait, elles acceptent d’abord la domination de l’économie sur la société ; ce sont par exemple celles des économistes comme Frédéric Von Hayek, Ludwig Von Mises, J. Schumpeter ; elles préconisent une économie de compétition libre et inégalitaire entre grandes entreprises sans intervention de l’État. Depuis 1976, ces conceptions économicistes et antichrétiennes de fait, ont triomphé un peu partout, surtout dans l’Union Européenne.
Elles se traduisent par les politiques dites « de rigueur » dont on voit les résultats en Grèce, en Italie, ou au Portugal.
• d’un autre côté, celui des conceptions marxistes. L’essentiel de ces conceptions marxistes est basé sur une critique du concept de marché, sur une critique du libéralisme. Mais, elles rejoignent les autres conceptions « incompatibles » dans leur approche de l’économie. Pour elles, en effet, presque tous les phénomènes sociaux passent par l’économie. De plus, beaucoup de ces conceptions marxistes restent attachées à la nécessité de construire des sociétés plus collectivistes, plus centralisées et autoritaires, c’est-à-dire moins attachées à l’importance de la liberté des personnes. C’est la raison pour laquelle, depuis l’apparition des grandes encycliques sur la question sociale, la doctrine sociale de l’Église refuse ces conceptions.
Nous venons aussi, de voir plus haut, que l’Église catholique a été depuis longtemps, hostile à l’économisme, à la priorité des valeurs et des critères économiques ; elle considère que l’économie doit être subordonnée aux autres objectifs sociaux. Or cette position est impossible si l’on accepte les principes du collectivisme marxiste, tout simplement, si l’on accepte les principes du marxisme.
On peut dire que ce sont ces positions inverses à celles que nous recherchons qui sont actuellement la base de la « pensée unique », la pensée commune à la droite et à la gauche politiquement établies. Ces positions sont à l’inverses de la théorie des néoclassiques walrasiens, et de celle J.M. Keynes ,et, inverses aussi, de la doctrine chrétienne. Elles ont une caractéristique en commun : toutes expriment l’acceptation de la domination de l’« Économie » sur la société. Il est évident, en conséquence, que tous les chrétiens, qui veulent être fidèle au Christianisme, se doivent de constituer des groupés, dès rassemblements politiques et économiques, ayant comme objectif de s’opposer à de telles orientations , c’est à dire ayant comme objectif d
Or il faut savoir que la volonté de créer des types d’économies ayant comme objectifs de réduire le chômage, la misère ou de sauvegarder la liberté, en maintenant des marchés et des petites entreprises, autant d’objectifs de type chrétien, a été complètement abandonnée depuis longtemps, les structures en ont été détruites, en tout cas depuis l’instauration du libre-échange et de la mondialisation économique par Raymond Barre, à partir de 1976 puis, par les socialistes avec François Mitterrand.
La reconstitution de ces types d’économie, doit commencer par la mise en place des cadres économiques qui leur sont nécessaires. Ces cadres à reconstruire doivent présenter en même temps, deux aspects, un aspect microéconomique et un aspect macroéconomique.
Le modèle micro économique walrassien
Pour la microéconomie d’abord, ce cadre à construire, a été élaboré théoriquement par Léon Walras (1884-1910) ; c’est ce que l’on appelle l’économie de « marchés de concurrence pure et parfaite » entre petites entreprises. Les entreprises doivent rester suffisamment petites afin qu’aucune d’entre-elles ne soit capable d’influer sur les quantités ni sur les prix de ces marchés.
Ce cadre n’est absolument pas spontané, car il s’oppose fortement aux intérêts de la plupart des forces économiques dominantes. Dans ce modèle néoclassique walrassien, un tel cadre doit avoir pour rôle de réduire les superprofits des entreprises, dès qu’ils apparaissent et qui sont à l’origine de l’accroissement rapides de certaines entreprises.
Des lois sont donc, nécessaires pour maintenir les conditions de cette « concurrence pure et parfaite ». Une de ces lois nécessaires pour réaliser ce type de marché a été théorisé et formalisé par des économistes reconnus comme Léon Walras, Vilfredo Pareto ou Alfred Marshall. Cette loi exigée, pour empêcher la domination des grandes entreprises sur les petites, est celle qui instaure « une information parfaite » sur l’origine des profits pour chaque type de bien produit ( Comptabilité analytique)
Ce type de marché est appelé aussi, modèle walrassien, du nom du plus ancien de ces économistes. Ce marché de « concurrence pure et parfaite » a des exigences contraignantes mais, si l’on arrive à les imposer, les résultats peuvent être exceptionnels. Le plus simple et le plus éclatant est que ces prix qui découlent de ce type de marchés, sont les « véritables » prix c’est à dire, les prix qui permettent d’éviter les gaspillages économiques et donc, les prix qui maximisent l’efficacité économique, sans exiger pour autant une « croissance économique » forte, consommatrice de ressources naturelles. Le problème est que, pour exister, ces prix supposent que soient réalisées les conditions structurelles de ce marché.
En effet, pour que ces prix puissent éliminer les gaspillages, il faut que ce soient des prix d’équilibre. L’équilibre est atteint quand le poids des offreurs est égal à celui des demandeurs. Pour que ces marchés puissent atteindre ces points d’équilibre, il faut aussi, que quelques conditions les concernant soient réalisées : il faut comme nous l’avons déjà dit que les consommateurs puissent équilibrer les producteurs, il faut qu’aucun agent économique (producteur ou consommateur) ne puisse par sa taille, agir sur les quantités ou sur les prix du marché. Il faut de plus respecter les quatre autres conditions de la « concurrence pure et parfaite » ( la liberté des acheteurs et des vendeurs, l’homogénéité, la mobilité et la transparence).
Et, lorsque ces équilibres sont atteints, un certain nombre d’égalités sont respectées : à l’équilibre de longue période, le rapport des prix de deux biens A et B (PA/PB) est égal en même temps, au rapport des coûts moyens du bien A et du bien B (CmoA/CmoB), au rapport des coûts marginaux (CmaA/CmaB) et au rapport de l’importance relative que les consommateurs accordent au bien A et au bien B (c’est-à-dire au rapport de leur utilité marginale (UmaA / UmaB).
PA/PB = CmaA/CmaB = en longue période = CmoA/CmoB
(P signifiant prix, Cma signifiant coût marginal et Cmo signifiant coût moyen)
Pour Vilfredo Pareto et pour la plupart des néoclassiques, l’optimum général de ce système de prix est censé avoir lieu si tous les agents économiques intéressés ont maximisé leur utilité individuelle, c’est-à-dire s’ils ont observé les règles générales de rationalité. Pareto reprend la phrase d’Adam Smith, pour la compléter :
« … Il suffit que chaque individu recherche rationnellement, égoïstement et librement son intérêt personnel pour que, par une sorte de main invisible… cela débouche sur un équilibre général… ».
« … et pour que cet équilibre général soit en même temps, un optimum collectif de bien être ».
Cet équilibre de bien être sera appelé optimum de Pareto. Dans cette hypothèse, quand producteurs et consommateurs ont respecté les règles de maximation de leur utilité, on arrive à un résultat rationnel et à l’optimum pour tout le monde.
À cet équilibre général, qui est aussi l’optimum général de bien être de Pareto, le rapport des prix de deux biens reflète en même temps le rapport de l’importance relative que ces biens ont pour l’ensemble des consommateurs, et aussi, en longue période, le rapport des coûts de production qui ont été nécessaires pour fabriquer ces biens. C’est peut-être la propriété la plus remarquable des prix des marchés de « concurrence pure et parfaite » à l’équilibre.
Mais, ce qui est en apparence paradoxal est que, au lieu d’être présenté comme ce qu’il est, c’est-à-dire, comme un modèle à opposer à la réalité inégalitaire et capitaliste d’alors, ce modèle walrassien fut présenté de façon erronée. Il fut enseigné dans un monde universitaire que ce modèle était une représentation approximative de la réalité économique capitaliste du moment.
C’était parfaitement faux ; c’était la représentation de ce que le capitalisme réel avait détruit, mais en gardant uniquement les méthodes de représentation formelle, sans dire non plus que cette réalité du capitalisme était opposée aux principes du Christianisme comme l’ont souligné toutes les encycliques ; sans dire non plus la vérité : ces auteurs, c’est-à-dire Walras et Marshall espéraient que ce modèle walrasien servirait à contrer le développement de la réalité capitaliste inégalitaire de compétition entre des entreprises de grandes dimensions.
Ce système de marché et de prix est le seul qui, au niveau microéconomique, arrive à combiner la liberté maximale avec l’efficacité économique. Malheureusement, ce système d’ « équilibre sur des marchés de concurrence entre petites unités », est un modèle qui, sauf peut-être, au début, n’a jamais été vraiment réalisé. Tout de suite, à l’époque, le jeu des banques et des financiers qui soutenaient plutôt l’évolution capitaliste en cours, a permis en l’absence d’une intervention de l’État, aux plus gros d’écraser ou de dominer les plus petits.
L’intérêt de ce modèle néoclassique walrassien réside dans le fait que le type d’économie qu’il préconisait était une économie maîtrisable, régulable c’est-à-dire, subordonnable aux autres objectifs de la société. C’est en ce sens que ce type d’économie est compatible avec les enseignements de la doctrine sociale de l’Église
Ce modèle walrassien néoclassique ne fut pas le seul à pouvoir être compatible avec les principes chrétiens, exigeant pour chaque homme, un minimum de dignité, de justice, et de liberté. Il trouve son complément dans la théorie keynésienne.
En effet, les théoriciens néoclassiques ne voyaient que les aspects microéconomiques et pensaient que la somme des équilibres microéconomiques engendrait de lui-même, un équilibre macroéconomique entre l’offre globale et la demande globale. La grande crise économique des années 1930 a montré les limites de leur analyse, en révélant la pertinence du modèle keynésien qui montrait qu’en cas de l’insuffisance de cette somme des équilibres microéconomiques, l’intervention de l’État apparaissait nécessaire. Car, ce modèle keynésien montrait que dans certain cas, cette somme spontanée des équilibres microéconomiques ne suffisait pas pour obtenir un équilibre macroéconomique, c’est-à-dire, pour obtenir le plein emploi.
Ces deux caractéristiques, ces deux compatibilités avec la doctrine chrétienne, sont très importantes. Actuellement, pourtant, elles semblent être éloignées des préoccupations de la plupart des chrétiens du fait de cette espèce de fatalité ambiante : puisque personne, aucun gouvernement ne leur a demandé s’il était juste d’arrêter dans les politiques économiques, les restes d’influence keynésienne, s’ il était juste d’ instaurer à la place de cette politique d’inspiration keynésienne, le libre échange et la mondialisation, les citoyens ont l’impression que certains problèmes ne sont plus de leur ressort. Comment pourraient ils penser qu’ils doivent en plus savoir si telle ou telle politique, est ou non, compatible avec le Christianisme ?
Pourtant déjà, à plusieurs reprises, c’est-à-dire après la double condamnation énoncée par l’Église, du libéralisme capitaliste et d’un certain socialisme, les Chrétiens ont eu de plus, grâce à l’Encyclique Laborem Excercens de Jean-Paul II, l’explication de cette double condamnation qui pouvait apparaître conflictuelle ou contradictoire à certains. Cela s’expliquait dans la pensée de Jean-Paul II, par le fait que ces visions, la vision libérale capitaliste et la vision d’un socialisme économiste et autoritaire relevaient donc toutes deux d’une approche économiciste.
Il est quand même étonnant qu’après la netteté depuis un siècle, de cette double condamnation, suivie de celle de Jean-Paul II concernant l’économisme, si peu de chrétiens en pour aient réalisé l’ampleur et l’importance. En effet, aucun mouvement chrétien n’a été créé pour lutter contre l’économisme répandu dans la société actuelle.
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Le modèle macroéconomique keynésien
En effet, au cours des années 1930, en réponse au chômage de masse qui sévissait, Keynes allait apporter une autre analyse que celle proposée par les néoclassiques comme Léon Walras. Pour lui, la valeur de la demande globale avait tendance spontanément à être inférieure à la valeur de l’offre globale et c’était, d’après lui, l’insuffisance de la demande globale qui était à l’origine de l’importance du chômage. Sa conclusion était que l’État devait intervenir pour que cette insuffisance soit comblée. Cette conclusion n’a rien perdu de sa pertinence. Cependant, l’application de telles théories exigerait que l’on reconstruise le circuit rendu impossible par les accords de libre échange. Ces propositions ne contredisaient pas directement, les principes d’équilibre des économistes walrassiens, centrés essentiellement sur les équilibres microéconomiques partiels. Mais, ces économistes néoclassiques croyaient que ces équilibres étaient nécessaires mais, ils ne voyaient pas qu’ils étaient insuffisants pour éviter le chômage.
Contrairement à certaines idées toute faites, le modèle walrassien ne s’oppose pas au modèle keynésien. En effet, la recherche des équilibres microéconomiques est, sous certaines conditions, totalement compatible avec la recherche du plein emploi de l’équilibre macroéconomique keynésien donc, compatible aussi, avec la mise en place des conditions d’existence d’un modèle macroéconomique keynésien. Celui-ci exige en effet, que dans un pays donné, les pouvoirs publics puissent d’abord créer de la monnaie nationale, puisse ensuite l’injecter et qu’enfin, grâce à la mise en place d’un circuit économique national protégé, ce pouvoir d’achat reste sur place, c’est-à-dire ne parte pas à l’étranger.
La théorie keynésienne préconise, donc, elle aussi, une économie pouvant être contrôlée par les citoyens c’est-à-dire, maîtrisable, régulable et donc subordonnable aux autres objectifs de la société. C’est ce qui rend ce modèle compatible avec la doctrine sociale de l’Église ,comme l’est le modèle néoclassique walrassien.
Sur les problèmes conjoncturels de chômage, la théorie keynésienne considère en effet que les solutions passent par une injection de pouvoir d’achat, mais dans un circuit protégé, c’est à dire, généralement national. C’est cela que Keynes comprit et qui l’amena à proposer ses théories dans son fameux ouvrage Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie.
Cette volonté d’agir sur les quantités économiques globales, en injectant si nécessaire, le pouvoir d’achat manquant, est donc, non seulement possible mais aussi, absolument nécessaire. Mais, elle est malheureusement, en même temps, en contradiction avec les structures mises en place par les traités européens.
Cela signifie qu’être chrétien aujourd’hui, suppose de lutter contre ces traités imposant le libre échange, la mondialisation économique, et les grandes concentrations du productivisme et, de ne voter que pour ceux qui ont les mêmes luttes. Il est évident que tous les chrétiens qui veulent être fidèles au Christ, se doivent de constituer des groupes politiques, ayant comme objectifs, de s’opposer à de telles orientations favorisant le libre échange et la mondialisation économique
Dans le livre de la Genèse, il est dit que la Terre était un jardin et que Dieu avait donné comme mission à l’homme de l’entretenir. L’homme, gardien de la Création a, de toute évidence, manqué à sa mission. Il est grand temps de se demander si les politiques envisagées plus haut seraient susceptibles de préserver les équilibres écologiques de cette Création.
Conséquences écologiques du modèle micro économique walrassien
La possibilité de rechercher des équilibres, ainsi que l’optimum de bien être, plutôt que de rechercher une croissance forte, ouvre en même temps la route à la recherche des équilibres écologiques qui seraient en effet, difficilement compatibles en permanence, avec la recherche d’une croissance forte.
En effet, l’objectif d’équilibre général d’optimum de Pareto pourrait rendre possibles d’autres types de politiques économiques : l’absence de recherche de croissance forte qui caractérise les solutions keynésiennes permet d’envisager la recherche des équilibres « microéconomiques », la recherche de « l’optimum collectif de bien être » dit de Pareto, c’est-à-dire, la recherche d’un marché réel de concurrence entre petites unités, d’un marché qui, avec son système de prix, essaie de concilier l’efficacité et la liberté.
On voit tout de suite l’intérêt que peut présenter une telle économie, pour tous ceux qui se préoccupent des déséquilibres dans la répartition spatiale des activités. Une économie de type walrassien est susceptible de favoriser une distribution des activités sur tout le territoire, plus respectueuse de l’environnement.
En effet, on peut imaginer que la multiplicité de petites entreprises puisse aller de pair avec un saupoudrage sur tout le territoire, à l’inverse des concentrations actuelles qui sont à l’origine de nombreuses pollutions. Ce saupoudrage se réalisera d’autant plus facilement qu’il sera accompagné d’une politique nationale globale d’aménagement du territoire, favorable au monde rural et à la décentralisation.
Conséquences écologiques du modèle macro économique keynésien
Une authentique politique keynésienne est a priori, beaucoup plus écologique que nos économies actuelles mondialisées, parce qu’elle crée la possibilité de politiques économiques qui, pour lutter contre le chômage, n’exigent pas de croissance économique forte, consommatrice de ressources naturelles ; parce que ce type de politique n’exige donc pas d’être en contradiction avec les exigences écologiques, mais demande une utilisation à plein des moyens de production existants. On sait maintenant, qu’une croissance économique forte engendre des pollutions et des déséquilibres écologiques.
Par ailleurs, les mesures keynésiennes pour réduire le chômage et l’instabilité économique, vont immanquablement entrainer des conséquences d’ordre écologique très bénéfiques. En effet, pour rester fidèle aux objectifs keynésiens d’injection de pouvoir d’achat et pour faciliter le fait que cette injection se propage efficacement dans l’économie et réduise le chômage, ce circuit doit éviter les fuites et donc être relativement étanche. Cela signifie que ce circuit doit être restreint, que le pouvoir d’achat doit y circuler rapidement et qu’il doit être associé à une autorité qui le régule : nous savons que c’est le cadre national qui convient le mieux. Or il y a toute chance que ce niveau national corresponde à moins d’éloignement entre producteurs et consommateurs que celui des économies libre-échangistes mondialisées. Il semble en effet évident que passer d’échanges mondiaux où les entreprises recherchent d’abord le marché le plus important, même s’il est le plus éloigné, à un marché en circuit national, aboutit évidemment à réduire l’éloignement entre les producteurs et les consommateurs, éloignement lié, on le sait, à l’origine principale de nombreux problèmes écologiques : il accroît les transports qui eux-mêmes consomment et gaspillent des énergies fossiles non renouvelables.
La période contemporaine a vu apparaître deux types de pensée économique, celle des néoclassiques Walras et Marshall puis, la pensée de J.M. Keynes. Ces deux types de pensée ne permettaient pas la primauté antichretienne des valeurs et des critères économiques sur les aspirations humaines. Que ce soit sous l’angle micro ou sous l’angle macroéconomique, elles proposaient un cadre qui n’était absolument pas spontané. Pour qu’il soit réalisé, il aurait fallu que quelqu'un, qu’une organisation, qu’un parti veuille le mettre en place, concrètement C’est ce qui n’a pas eu lieu. Pourtant, il satisfaisait la plupart des exigences chrétiennes de liberté et de défense des dignités individuelles[1].
Au contraire, dans les sociétés, dans la vie politique, on assistait à la fin du XIXème et au cours du XXème siècle, au développement des pires conceptions possibles, dans la lignée de l’économisme utilitariste de Ricardo et de Bentham, puis dans la lignée de l’idéologie du capitalisme. En effet, une série de phénomènes se succédèrent presque logiquement : la théorie marxiste, le bismarckisme, le nazisme, le stalinisme, plus tard, le polpotisme, et aujourd’hui l’Islamisme. La continuité entre eux semble évidente : la « personne » a disparu face aux exigences des mécanismes et des États totalitaires.
On assistait en même temps, au déclin de ce qui a été le principe de la « primauté des sentiments d’amour » qui est le cœur du Christianisme. Autant il est facile de voir qu’il a existé, une unité dans tout ce qui a eu tendance à disparaître c’est à dire, cette primauté, dans tout ce qui a été réduit, autant il est difficile d’apercevoir ce qui pouvait être l’adversaire unique, à la source de toutes ces dégradations.
Il n’est pas aisé de répondre à cette interrogation car, ce n’était pas la première fois que l’économisme ou maintenant, le productivisme, utilisaient ce subterfuge : se cacher derrière une pluralité apparente ; ainsi, ni l’économisme, ni le productivisme n’ont jamais eu de visage, car aucun dirigeant ne s’est jamais réclamé de la primauté de l’économie. En revanche il a pu prendre au cours de l’histoire contemporaine, des formes diversifiées. Cet économisme profond a pris les formes que l’on a connues et dont personne n’a décelé la communauté réelle qui existait entre elles, c’est-à-dire le pprefus du Christianisme, (le refus de la primauté des sentiments d’amour) et la primauté de l’économie (capitalisme, bismarckisme, stalinisme, nazisme, productivisme…).
Cette communauté des différentes formes de l’économisme aurait pu mettre sur la piste des intellectuels avertis : Il existe bien un lien entre ces différentes conceptions ; ce lien est celui que nous avons déjà évoqué, c’est celui de la primauté donnée à l’économie, à l’efficacité économique, à la recherche de la rationalité qui en est le « cache-sexe », aux critères et aux valeurs économiques, au détriment de la primauté donnée aux sentiments d’amour.
Pourtant, très peu d’observateurs ont cherché à voir, derrière cette diversité, la communauté de valeurs qui existait entre les phénomènes cités plus hauts. Elle est cependant bien réelle ; en effet, n’importe qui peut l’observer concrètement, presque quotidiennement, par exemple, dans les « réformes et projets de réformes des collectivités locales ».
Ces projets de réforme se caractérisent tous par une intention : faire monter globalement le niveau de décision, déposséder les petites communes et leur maire de leur rares « possibilités » et de leur responsabilités.
Et, comment justifient-elles cette volonté de faire monter le niveau de décision ? Presque toujours, la réponse se trouve dans la volonté de « rationaliser » l’organisation des pouvoirs publics. En réalité, cette volonté de rationaliser équivaut la plupart du temps à vouloir faire des économies. On en revient à la primauté des considérations économiques sur toutes les autres, c’est-à-dire, sur le choix des citoyens, sur leur liberté.
Mais ici, dans ce cadre, l’économisme est camouflé par la notion de « rationalisation ».
À cela, à cette volonté de faire triompher l’économisme, il aurait fallu opposer l’existence de pensées et de valeurs universelles situées bien au dessus de ces idéologies de rationalisation qui étaient censées justifier les politiques comme par exemple, les valeurs chrétiennes.
C’est évidemment ce que ne pouvait tolérer l’économisme et le productivisme et c’est pour cela qu’est apparu l’idéologie du « relativisme ». Pour cette idéologie qui se répand, tout se vaut, tout est équivalent, toutes les cultures et toutes les religions ont la même valeur ; on ne peut établir de hiérarchie entre elles. Dans ce cadre-là, il ne peut exister de valeur universelle : le relativisme accepte toutes les formes de pensées et par là, il les nie toutes. Le relativisme est une forme de nihilisme.
Le pape Benoît XVI a été un des premiers à percevoir l’importance de cette réalité intellectuelle et idéologique et à la dénoncer. Mais, cette dénonciation fut rapidement interprétée par certains, comme l’expression d’un dogmatisme et d’un sectarisme. Or c’est faux : dénoncer le « relativisme » est totalement étranger à tout « mépris » de ce qui ne serait pas considéré comme appartenant à la catégorie « supérieure ». On peut en effet, estimer qu’il existe des cultures globalement supérieures à d’autres, sans pour autant mépriser l’apport nécessaire que chacune apporte aux autres, l’apport qu’elles s’apportent les unes aux autres. La pensée chrétienne privilégie plutôt ce qui est unique à la comparaison. Un Chrétien ne peut regarder le monde qui est autour de lui, comme n’importe qui, comme celui qui n’est pas chrétien.
En effet, un Chrétien, s’il veut imiter Jésus Christ, est toujours en admiration devant la moindre particularité, de la moindre singularité ; il est toujours respectueux et admiratif de ce qui est humble et petit. Il en est même normalement « amoureux ». Si donc, un Chrétien est capable, contre le relativisme, de reconnaître des hiérarchies, ce n’est presque jamais l’expression d’un mépris.
Ainsi, vouloir appliquer la Doctrine sociale de l’Église n’est ni facile ni automatique. Cela suppose à la fois, de la réflexion, de la rigueur et de là vigueur ; pour être réellement chrétien, il faut le vouloir vigoureusement., il faut être fier de l’être. Et, c’est cette vigueur dans l’affirmation de notre Christianisme qui manque peut-être le plus. Cela a p
Est peut-être venu le moment d’essayer de faire un retour en arrière, de faire le bilan de la situation du Christianisme et des Chrétiens, en France et dans le monde.
Globalement, ce bilan est loin d’être brillant ; mais, il faut distinguer plusieurs points de vue :
- l’influence des regards chrétiens sur l’évolution matérielle du monde
- l’influence du Christianisme sur les pensées et les idées développées dans ce monde, quelque soit le domaine de ces pensées et de ces idées.
Sur l’évolution matérielle du monde, les chrétiens n’ont pas encore réussi à convaincre les autres hommes que notre planète devait être protégée contre les activités humaines, et qu’il fallait prendre des mesures pour enrayer le réchauffement de la planète ; ils n’ont pas réussi, non plus, à convaincre que pour cela, il fallait faire en sorte que l’économie ne soit pas livrée à elle-même.
L’échec des Chrétiens a été encore plus fort en ce qui concerne l’influence du Christianisme sur les pensées et les idéologies contemporaines.
Des conceptions économiques dont nous avons parlé plus haut, nous découvrons avec effroi que celles de Walras et celles de Keynes, les deux qui étaient compatibles avec la doctrine sociale de l’Église, ne sont plus enseignées comme des théories que l’on pourrait appliquer encore de nos jours. Elles sont pourtant, les seules qui pourraient apporter des solutions aux Portugais, aux Grecs, aux Italiens et même à nous, Français Les seules qui pourraient apporter des solutions aux chômage de masse.
Mais, le fait que de nouveaux problèmes apparaissent, capables de mobiliser la jeunesse, comme ceux du « mariage pour tous », en réduisant la place accordée à l’économie pourra peut-être, réduire l’importance de l’économisme et paradoxalement, accorder de plus grandes possibilités à la diffusion du message chrétien.
Certes, les hommes sont toujours restés des hommes, c’est à dire des êtres imparfaits. L’Église catholique, elle-même, en est composée et en a toujours été marquée ; elle n’a pas été dispensée de fautes. Croire en la possibilité d’une société parfaite, d’une Église parfaite est donc, pour un Chrétien une illusion ;une illusion qui lui permet parfois de se donner bonne conscience. En revanche, ce à quoi doit croire un Chrétien, c’est la possibilité et la nécessité de s’améliorer, lui et la société dans laquelle il vit.
Et, si l’on jette un regard sur le passé, sur les deux mille ans qui nous ont précédé, on est frappé par l’ampleur et la qualité de l’héritage que (malgré les fautes que l’Église a pu commettre) le Christianisme nous a laissé, en comparaisons avec les horreurs qui ont marqué le siècle dernier (Nazisme, Stalinisme, etc .). Aussi, la question qui se pose à nous est-elle : Avec un tel héritage chrétien, comment ces erreurs ont-elles été possibles ? Que devrons-nous faire pour éviter qu’elles ne se reproduisent à nouveau ? Comment reprendre le flambeau ?
Ainsi s’aperçoit-on, à la lecture de ce « blog », qu’un catholique ne devrait pas s’imaginer pouvoir vivre tranquillement dans la société actuelle. Au contraire, ce qui l’attend, c’est combat permanent, pour essayer de rendre cette société un peu plus chrétienne et pour éviter le retour de ces horreurs du dernier siècle.
Mais, quels que soient les résultats qu’ont pu momentanément obtenir les Chrétiens, il n’en demeure pas moins que, se vouloir chrétien, implique actuellement d’être prêts à se battre contre des aspects fondamentaux et idéologiques de la société actuelle ; car, c’est eux qui dominent la société actuelle .
Mais, dire que ces aspects, ces idéologies dominent la société actuelle ne veut pas dire pour autant que chaque personne soit obligée de leur obéir. Or, l’observation de la réalité contemporaine peut, à la suite du foisonnement actuel d’idéologies, de façons de penser diverses, susciter des questions : sont elles si différentes ? ou est ce une impression légèrement fondée ? Ne peut on constater qu’un grand nombre de ces idéologies semblent aller dans la même direction et du même pas, et qu’elles cachent peut être une certaine unité ? qu’elles relèvent peut être, d’une même inspiration ?
Y a t- il une forte différence, en effet, nous venons de le suggérer, entre les conséquences du fatalisme et celles de l’économisme ?, entre les conséquences de l’économisme et celles des croyances en un « sens de l’histoire » ? entre les conséquences de cette croyance idéologique en un « sens de l’histoire » et l’économisme ? Or, au cours du temps ,il y a eu des glissements idéologiques ; l’économisme, le « sens de l’histoire », le fatalisme, sont politiquement passés en quelque sorte, de gauche à droite : pour un homme « de droite », il est devenu habituel de considérer le libre échange la mondialisation et les Traités européens, comme des phénomènes inéluctables et positifs. En général, cela est présenté plutôt comme du « réalisme ». Et, cela rejoints
Les freins aux solutions des problèmes actuels, sont en grande partie d’ordre idéologique. Par exemple, dans le cas du chômage, le fatalisme joue une rôle important.
Il a envahi toute la société. Il a malheureusement gagné aussi les Chrétiens. Ce fatalisme est d’ailleurs l’obstacle primordial à leur capacité de croire qu’ils sont capables et qu’ils ont le devoir d’améliorer ce monde.
La domination de l’économie n’y est pas pour rien. Car ce fatalisme joue plusieurs rôles. De nombreux Chrétiens en arrivent à penser que les phénomènes économiques qu’ils vivent sont inéluctables.
À ce sentiment, l’idée marxiste qu’il existerait un sens de l’histoire dominé par l’économie y a contribué largement. A travers la diffusion de cet économisme, peu à peu, de nombreux hommes de droite, se sont imprégnés de cette idée .
Quels sont donc ces combats qu’ un chrétien doit engager et mener ?
Parmi eux, il faut citer :
Un combat global contre l’économisme, c’est à dire, contre la primauté dans la société des valeurs et des critères économiques, un combat pour défendre les valeurs de liberté et d’ amour, donc un combat pour faire apparaître, ou faire réapparaitre, c’est à dire pour revaloriser, les auteurs économistes, hostiles à la primauté dans la société des valeurs et des critères économiques. (Oui, ils existent ! Ce sont par exemple, J.M.Keynes, L . Walras, A. Marshall, V. Pareto). Ce sont évidemment ceux qui ont été progressivement écartés sous des prétextes aussi faux que divers.
Or, nous savons déjà, que vouloir embellir le monde, c’est vouloir le transformer, et cela est une des façons que peut avoir un Chrétien de participer à la Création divine, tout en se « réalisant », tout en créant une œuvre personnelle, lui permettant de s’accomplir. Cette réalité a pu être en effet, une des sources de la force du Christianisme.
Cela implique que les chrétiens aient compris la valeur de la Matière ,égale à celle de l’Esprit, qu’ils aient compris, que chacun , pour se perfectionner, pour s’améliorer individuellement , pouvait être amené à la transformer et à l’embellir, au lieu de vouloir s’en détacher, au lieu de chercher à s’en « purifier ».Car, si Jésus en tant que Dieu, l’avait voulu, Il ne serait pas devenu lui même matière en même temps qu’esprit.,
Enfin, si le Chrétien veut essayer de réaliser ses espérances, il faut qu’il ne se contente pas de dire ce qu’il veut et ce qu’il refuse , il faut aussi qu’il forme des groupes, des mouvements politiques qui portent les mêmes idées. Il est temps que ces groupes chrétiens interpellent les candidats aux différentes élections pour leur demander leur conceptions essentielles, c’est à dire, celles qui sont en accord, ou en désaccord, avec celles du Christianisme.
Est il normal, par exemple, que des chrétiens votent pour des candidats qui acceptent le libre échange et la mondialisation, sachant que ces deux phénomènes détruisent tout ce qu’ un chrétien peut aimer ou désirer ?
Ce n’est qu’un des aspects de ce qui pourrait se passer si enfin, les chrétiens votaient et agissaient politiquement, en tant que chrétiens.
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[1] Peut-être faut-il noter une chose qui peut expliquer certaines confusions. Face à ces économistes néoclassiques walrassiens, comme Pareto puis Marshall qui défendaient ensemble, une organisation économique et sociale alternative à la société économique du XIXème siècle (société prétendument de marché, en fait de compétition capitaliste et inégalitaire), apparut au XXème siècle, un autre groupe d’économistes universitaires tout à fait favorables à cette compétition inégalitaire contemporaine, c’était, par exemple, Frédéric Von Hayek, Ludwig Von Mises et Joseph Schumpeter Ces derniers étaient férocement antikeynésiens, ils constituèrent en 1947, le « groupe du Mont Pèlerin », d’audience internationale, qui prépara la revanche contre le succès de la pensée keynésienne, grâce à l’ignorance et la niaiserie de nos dirigeants économiques et politiques, de droite comme Raymond Barre, puis de gauche avec les socialistes de François Mitterrand. Ce sont donc, ceux-là (Hayek et Mises) qui l’emporteront et qui l’emportent encore, depuis 35 ans, c’est à dire, depuis 1976 et 1977.